Il pleut des hamburgers Nous Žtions tous assis dans la cuisine, autour de la grande table. C'Žtait samedi matin. Le jour des crpes. Maman pressait des oranges. Henri et moi nous faisions des paris : lequel de nous deux mangerait le plus de crpes. Grand-pre commenait ˆ les faire sauter. Et soudain, quelque chose fendit l'air, jusqu'au plafond ... et atterrit directement sur Henri. Quand nous avons compris que cette machine volante n'Žtait qu'une crpe, nous avons tous ri, mme Grand-Pre. Le dŽjeuner se poursuivit sans incident : toutes les crpes retombrent dans la pole. Elles furent toutes mangŽes, mme la crpe volante. Ce soir-lˆ, inspirŽ par l'incident de la crpe, Grand-Pre, pour nous endormir, inventa son plus beau conte. Ç Au-delˆ de l'ocŽan, au-delˆ de montagnes escarpŽes, au-delˆ de dŽserts torrides et d'un autre ocŽan plus petit ... ... il y avait la ville minuscule de Ratatouille. Ë premire vue, c'Žtait une petite ville semblable ˆ toutes les autres. Elle avait une rue principale bordŽe de magasins, des maisons entourŽes d'arbres et de pelouses, une Žcole, trois cents habitants environ, et quelques chiens et chats. Mais il n'y avait pas de magasins d'alimentation dans la ville de Ratatouille. Le ciel y pourvoyait. Le climat de Ratatouille Žtait vraiment particulier. Trois fois par jour, au dŽjeuner, au d”ner et au souper, la nourriture tombait du ciel. Les gens se nourrissaient suivant l'humeur du temps. Il n'y avait jamais de pluie. Jamais de neige. Jamais de vent. Mais il pleuvait par exemple de la soupe et des jus de fruits. Il neigeait de la purŽe de pommes de terre et il grlait des petits pois. Et parfois, le vent charriait des nuages de hamburgers. Le matin, la tŽlŽvision donnait la mŽtŽo du jour, et parfois, mme les prŽvisions pour les menus du lendemain. Quand les habitants de la ville sortaient, ils emportaient avec eux leurs assiettes, tasses, verres, fourchettes, couteaux, cuillres et serviettes. Ainsi ils Žtaient toujours prts, quel que soit le temps. S'il y avait des restes - et il y en avait souvent - les gens les emportaient chez eux et les mettaient dans leur rŽfrigŽrateur au cas o ils auraient faim entre les repas. Les menus variaient. Le matin, au rŽveil, le dŽjeuner descendait du ciel. Aprs une brve douche de jus d'orange, arrivaient des nuages d'oeufs au plat, suivis de tranches de pain grillŽ. Du beurre et de la confiture arrosaient les tartines. Et la plupart du temps, il pleuvait ensuite du chocolat chaud. Pour le d”ner, il pleuvait du nord-est des hot-dogs, tout prts. Des nuages de moutarde s'amoncelaient tout prs. Puis le vent tournait et apportait de l'ouest des haricots. Une bruine de limonade terminait le repas. Au souper tombait une pluie de c™tes d'agneau, parfois trs dure, accompagnŽe de sauce tomate. Des averses de petits pois et de pommes de terre au four suivaient, puis un magnifique flan ˆ l'orange se couchait ˆ l'ouest. Le Service de Nettoiement de Ratatouille avait un r™le important. Il devait enlever la nourriture tombŽe sur les maisons, les trottoirs et les pelouses. Il nettoyait les rues aprs chaque repas et nourrissait les chats et les chiens. Puis il vidait une partie de ses bennes dans la mer pour nourrir les poissons, les tortues et les baleines. Le reste, utilisŽ comme engrais, enrichissait le sol des jardins. La vie de ces gens n'Žtait pas dŽsagrŽable jusqu'au jour o le temps se dŽtraqua. Un jour, il tomba toute la journŽe du Roquefort. Le jour suivant, il n'y eut que des brocolis trop cuits. Et le lendemain, ce furent des choux de Bruxelles ˆ la crme et ˆ la mayonnaise. Le surlendemain, il y eut un brouillard de vraie purŽe de pois. On n'y voyait plus rien et il Žtait presque impossible de trouver sa nourriture noyŽe dans le brouillard. Il tombait de plus en plus de nourriture et les portions Žtaient de plus en plus grosses. Les habitants en Žtaient effrayŽs. Souvent de violents orages Žclataient. Il se passa des choses horribles. Un mardi, il y eut un ouragan de pains et de croissants toute la journŽe et toute la nuit. Il pleuvait des petits pains durs et des petits pain frais, avec ou sans graines. Il pleuvait du pain blanc et du pain complet. Jamais de leur vie les gens n'en avaient vu autant. Ce fut un jour terrible. Chacun devait rester chez soi. Des toits furent endommagŽs et le Service de Nettoiement de savait plus o donner de la tte. Les vagues roulaient des pains par milliers. Pour dŽblayer, les gens en entassrent dans leur cour autant qu'il le purent. Les oiseaux en picoraient bien un peu mais il en resta encore beaucoup et ils moisirent sur place. Un matin, il y eut une tempte de crpes et un dŽluge de sirop d'Žrable qui submergea presque la ville. Une Žnorme crpe s'abattit sur l'Žcole. Personne ne put l'enlever ˆ cause de son poids et il fallut fermer l'Žcole. Un autre jour, les trottoirs furent envahis de sandwich au fromage ou ˆ la confiture. Toute le monde en mangea trop, et la journŽe se termina par une terrible indigestion. Il y eut un vent de sel et de poivre suivi d'une tornade de tomates. Les gens Žternuaient comme des fous et couraient n'importe o pour Žviter les tomates. La ville Žtait sens dessus dessous. Il y avait des pŽpins et de la pulpe partout. Le Service de Nettoiement dŽmissionna. Chacun craignait pour sa vie. La plupart du temps les gens ne pouvaient pas sortir de chez eux. Beaucoup de maisons avaient ŽtŽ endommagŽes par des boulettes de viande gŽantes. Les magasins fermrent et il n'y eut plus d'Žcole pour les enfants. Il fut donc dŽcidŽ de quitter la ville de Ratatouille. C'Žtait une question de vie et de mort. Les habitants collrent d'Žnormes tranches de pain avec du miel. Ils partirent sur ces radeaux vers des terres nouvelles, avec le strict nŽcessaire. Aprs avoir naviguŽ une semaine, ils accostrent dans un petit port qui leur fit bon accueil. Curieusement, le pain s'Žtait bien conservŽ, juste assez pour en faire des maisons. Les enfants retournrent ˆ l'Žcole, et les adultes se mirent ˆ chercher du travail dans ce nouveau pays. Pour eux, le plus grand changement fut d'acheter la nourriture dans des magasins. Ils trouvaient bizarre de voir les aliments sur des Žtagres, serrŽs dans des bo”tes de conserves ou mis en bouteilles. La viande qu'ils devaient dŽsormais faire cuire, Žtait conservŽe dans de grands rŽfrigŽrateurs. Plus rien ne tomba du ciel, sauf la pluie et la neige. Plus de nuages d'Ïufs au plat au-dessus des toits. Plus jamais personne ne reut de hamburgers sur la tte. Ils n'osrent pas retourner ˆ Ratatouille pour voir ce qui s'y passait. Ils avaient trop peur. È